Deux spectres hantent le nihilisme français : les spectres de Joyce et Rimbaud. Le Comité invisible de Julien Coupat tirait
sur Leopold Bloom, l’amer Michel croit pouvoir nous persuader qu’il est impossible au XXIe siècle de trafiquer dans l’inconnu. Un livre les démasque
au passage, en quelques pages : Tout autre – une confession de François Meyronnis (pp. 85-99).
« Tiqqun »
a eu le mérite de reparler de « guerre civile », d’ouvrir un magasin
général bio dans le Désert
français, d’avoir deux prisonniers d’opinion à la Santé sous Sarcosi
et de ridiculiser Michèle deux ans avant le Printemps tunisien. Michel
celui de mettre les pieds dans le plat du Menschenpark. C’est à peu près tout.
Le
Comité invisible considère la littérature comme « l’ancien régime de la
vérité », hait Joyce, ne comprend pas
grand-chose à Debord ni au Talmud et rien à Heidegger. Michel a
compris que de son point de vue, mieux valait vouloir le rien que ne
rien vouloir. Pour le Comité « Tiqqun » comme pour
Michel, une seule devise : tuer les pères, tuer le monde.
François Meyronnis alias Simon Malve, lui, évolue sans haine parmi les vivants, les morts et les avalanches :
« Avant, où que ce soit, à n’importe quelle époque, il y avait partage mais aussi échange entre ceux qui vivent et les
défunts. Ce partage comme cet échange faisait l’objet de rites, cérémonies, de toute une symbolisation.
De cela il ne subsiste à peine que des loques. Sans qu’on en perçoive la violence une implosion sévère a eu lieu.
Les ombres, on les a mises à la porte. Les vivants ont lâché le « peuple éteint », comme l’appelait Homère –
illusion de refermer la vie sur elle-même et d’envoyer coucher les morts.
Mais ce que voit Simon Malve, en accédant là où s’enroulent le dessus
et le
dessous, est plus inquiétant ; car il s’agit du modelage du monde de
la surface à partir de l’envers : dans les rues, au fond des bureaux,
des boutiques, la vie expropriée nourrit les
ombres ; lesquelles à leur tour colonisent la vie, au point d’en
rendre possible un jour la fabrication industrielle. Ainsi vie morte et
mort vivante forment-elles ensemble un circuit marécageux.
Alors que les incubés du social ne veulent plus rien faire avec leurs âmes, et leur témoignent autant de respect qu’à des
courants d’air, les voilà pris en gage. Translation de tous les êtres sur le plan mort.
Comment
sortir de ce micmac ?
Mon livre ne raconte rien d’autre – conseils pour déjouer l’embûche…
Ici le lecteur est convoqué. Au fond c’est lui le personnage du roman ;
lui seul peut effectuer le
voyage. »
A. G.
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