jeudi 29 octobre 2009

« Et c'est bien lui qui règne »

(Stéphane Marie, extrait de « Le point vif », Sprezzatura n°1, octobre 2009)



« C’est à ne pas penser la confrontation qu’ont lieu le rite de mort et le sang fracassé du meurtre.

La vie expose.
C’est la survie ou la strangulation.
Ou la vie.

De l’exposition, l’humanité retient ce qui fait d’elle une proie. Elle s’abuse dans l’alternative de la victime et du bourreau ; celle-ci remplit tout le champ de son exercice. Un monceau de cadavres est le produit de cet abus.
Retournement de l’agression : de proie potentielle à pourvoyeur d’une violence d’annihilation de ce qui menace. L’homme devient bourreau pour ne pas être victime. La logique est celle d’un accaparement des personnes et des objets du monde. Le fait guerre dans l’histoire cristallise cette pensée, la conquête vise à l’établissement d’une domination. À un stade ultérieur de composition de la guerre de tous contre tous, les proies se placent dans l’orbe de la domination échue, sous l’aile protectrice des détenteurs de la violence légitimée. La perspective est d’une extension sans fin du conflit jusqu’au terme rêvé d’une unification qui pacifierait l’ensemble des territoires sous la bannière incontestée d’une puissance enfin sans adversaire.
La logique interne de cette puissance interdit pourtant cette pacification. La visée globalitaire est rongée par son fondement : la domination doit se nourrir. Ceux qui croyaient s’en protéger par allégeance se désignent comme aliment ; et pour y échapper deviennent bourreaux à la place du calife. La domination instrumentale creuse son aporie constitutive. Ses victoires ne peuvent qu’être partielles, elles s’appellent, se relancent, elles écrivent le chiffre d’une défaite qui court.
Le spectre de la dépossession la possède, et c’est bien lui qui règne. »

Avertissement

« Cette revue est assurée d’être promptement connue de cinquante ou soixante personnes ; autant dire beaucoup dans les jours et les nuits que nous vivons, et quand on traite sereinement de questions si graves. Mais aussi c’est parce que nous aurons bientôt, dans certains milieux, la réputation d’être des fauteurs de trouble. Il faut également considérer que, de cette élite qui va s’y intéresser, le quart, ou un nombre qui s’en approche de très près, est composé de gens qui ne s’emploient à rien, ou seulement à échapper aux menaces, aux désastres, aux promesses du pouvoir, et les trois autres quarts de gens qui s’obstineront à faire tout le contraire. Ayant ainsi à tenir compte de lecteurs assez attentifs et diversement influents, nous nous devons évidemment de parler en toute liberté. Nous devons surtout prendre garde à parler un langage intraduisible dans certaines langues. Le malheur de ce temps et le bonheur des nôtres nous obligent donc à écrire, ancora una volta, d’une façon nouvelle. » »