mercredi 11 novembre 2009

« Je ne laisse pas pourtant d’être de première ligne. » *


« Comme il arrive souvent qu’un Prince a la guerre à soutenir de plus d’un côté de son état, et qu’il ne se trouve pourtant pas tristement réduit à la nécessite de la défensive partout : il me paraît utile de dire ici un mot de cette nature de guerre défensive, qui l’est par choix d’un côté, pendant que dans les autres pays, le Prince soutient une autre espèce de guerre.
Celle-ci se doit faire avec bien des circonspections. Le dessein de la défensive se doit d’être caché à l’ennemi, autant qu’il est possible. Il ne faut pas lui laisser pénétrer ce projet assez tôt, pour qu’il ait le temps de se préparer à une guerre offensive, qu’il serait le maître de ne commencer que lorsqu’il le jugerait convenable, pour troubler le projet de la campagne du côté que l’on aurait projeté l’offensive. Et cela, parce qu’il rendrait aisément la campagne désagréable partout, par la nécessité où l’on se trouverait de se dégarnir de troupes dans le pays où l’on aurait résolu d’être le plus en force ; et que le temps qu’il faudrait que les troupes employassent en marches, pour soutenir le pays fortement attaqué, étant pris sur celui de l’action de la campagne, il se trouverait qu’on aurait perdu celui d’agir offensivement du côté où l’on avait résolu de faire.
Cette espèce de guerre défensive par choix, ne se doit jamais faire que du côté où l’on est sûr de réduire l’ennemi à passer une rivière difficile, ou un pays serré et coupé de défilés, pour pouvoir pénétrer dans le pays ; et lorsque l’on a sur cette rivière une place forte et bien munie, que l’on saura être un objet indispensable, par l’attaque de laquelle il faudra bien que l’ennemi commence, et devant laquelle on pourra présumer qu’il perdra un temps assez considérable, pour avoir le temps de la secourir, ou de le combattre.
Il n’est jamais prudent à un général de prendre ce parti si absolument, qu’il s’ôte tous les moyens de profiter des mouvements hasardeux qu’un ennemi qui veut entreprendre est quelquefois forcé de faire. La disposition pour la défensive doit toujours être telle que l’on puisse faire changer la constitution de cette espèce de guerre.

Le général le plus vif et le plus pénétrant l’emporte toujours à la longue, sur celui qui ne possède pas ces qualités au même degré ; parce qu’il multiplie tellement les petits avantages par son activité et sa pénétration, qu’à la fin ces succès légers lui en procurent un grand et décisif.

Une règle générale pour la manière de donner les assauts est de partir de fort près et d’attaquer par un front qui embrasse et soit plus étendu que le front attaqué. »



Antoine de Pas, Marquis de Feuquières, Mémoires


* Lettre à son père Isaac, 18 juin 1675 au camp d’Altenheim.

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