dimanche 27 janvier 2013

La parodie irradie (Tiepolo à Würzburg)



Ici ça joue ça jouit ça parie ça varie ça danse la couleur ça dessine l’érotique ça irradie le paradis c’est le climax du goût le zénith du grand tout l’envers du dégout du tout à l’égout de l’art qui triche qui crache sa bile débile touchant pas sa bille ici ça joue l’ascension pour de bon le vrai décollement de la rétine l’arrêt de la déprime le terminal de la frime la fin des expos placebo pas de melons Magritte pas de montres molles Dali pas de frigides Delvaux ici c’est l’assomption pour de bon en deux bonds d’Hermès et d’Apollon caducée contre faux aile du pied contre sablier rose contre sclérose dégagement contre empâtement vitesse contre pesanteur jouir contre s’enfouir ça joue dans toutes les parties ça tourne rond ça renifle un pompon ça circule dans les veines du plafond ça monte dans le canal séminal des festons ça bande à l’unisson ça élève le ton ça crève les cieux ça ouvre les yeux ça guérit les lépreux les envieux les malheureux les souffreteux les poussiéreux ça réjouit en carpe diem les plébéiennes celles qui blasphèment les haineuses les pisseuses les marteleuses les branleuses les besogneuses ça quadrature le cercle en spirale ça triangule la perspective en caudal ça dédouble le champ du possible en paradoxal c’est incarné pour de vrai assuré pour les siècles entiers de revenir de bondir encore de retenir la plus délicate attention au détail lumineux du visage qui pense du costume qui s’ajuste de l’expression égarée de la cuisse dégagée d’une musique universelle qui monte au delà du cœur des bavardages des bruissements d’ailes des luths majeurs des feulements de tigres des cordes qui glissent des meuglements des trompettes des bruits lourds des barrissements des plaintes alanguies des cris des imprécations des chants à mi-voix des oraisons pour la plus grande concentration dégagée des éléments en suspens suspendus élevés décollés satellisés dans la voute qui renait qui retrace relance la lumière pour recouvrer chaque contraste et graduer l’évidence merveilleuse jamais pompeuse toujours précise en nacre de perle reflétant la sphère du spectre total l’étendue infinitésimale du point de touche où l’œil du peintre s’est posé délicieusement désinvolte sur le point qu’il pointe là à la gloire du présent d’amour à la jouissance de sa création à la vibration en photon bosons et quarks traversés en invisibilité en certitude amusée où ça moque ça roque ça disloque ça breloque le sérieux ça brocarde le cadre ça dérive la rive ça évide l’édifice ça frise le vertige ça dissous le sens ça discoure la transe ça retourne l’engeance ça n’engendre que le rire des dieux heureux là maintenant sur la terre ferme en véritable envie de jeunesse retrouvée dans un éternel retour où encore ici ça joue
JHL

 

jeudi 10 janvier 2013

La vie normale de la jeunesse française



 

« Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l'allée dont le front touche le ciel.

Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. »



Le 4 décembre 2012 , Camille et Geneviève (les prénoms ont été conservés à des fins de non confusion du lecteur) ont réussi à s’évader de la cellule scolaire et familiale où elles étaient retenues prisonnières depuis environ seize ans. Après seize ans de malnutrition, d’abrutissement spectaculaire et de décérébration par voie technologique, les jeunes adolescentes du Puy en Velay semblaient pourtant en bonne santé physique et morale puisqu’elles ont su suivre la piste buissonnière qui mène à Notre Dame des Landes, zone boueuse du bocage nantais qui n’est pas encore entrée dans l’Histoire aéroportuaire.

Au stade avancé de civilisation du ravage que nous avons atteint, c’est une agréable surprise de voir deux jeunes filles trouver en elles-mêmes le désir de s’échapper et un lieu en France où aller, quand presque tout l’espace, physique et mental, a été occupé. D’après la mère de Camille, cette fuite trouverait son origine dans les penchants « écolos, anarchistes, communistes » de sa fille. Surtout, elle reconnaît que sa fille a dans la famille : « une vie normale. Peut-être trop banale pour elle ». Etrange tout de même : en pleine période de crise de fin d’année, alors qu’il y a une vaste gamme de loisirs sur le marché juteux de l’adolescence, la jeune fille, par un ennui qui est devenu pur dégoût de la vie normale, rejoint avec sa copine une bande d’ultra-terrestres qui défendent, contre un énième projet de développement , un terrain où ils élèvent salades, cabanes et barricades.

Le petit maquis de NDDL avait déjà été soigneusement oublié des médias quand Camille et Geneviève sont arrivées. Alors, au lieu de s’en prendre à la vie normale des morts vivants européens, la presse a crié son indignation  : « Tremblez familles, ils vont prendre vos enfants ! »

Notre Dame des Landes ne sera plus seulement un foyer « d’ultra-gauche » (expression reprise par Ministre Blancos à l’ex-ministre MAM, victime de Tarnac), potentiellement hyper-violent, d’ultra-paysans hyper-archaïques, d’ultra-vagabonds hyper du voyage, d’ultra-écolos hyper-pacifistes, sans parler des ultra-oiseaux migratoires qui font leur nid dans des hyper-arbres…

Voilà que c’est un « un refuge » (Figaro du 01/01/2013) d’ultra-adolescentes fugueuses qui viennent grossir la révolte de leur révolte de jeunes filles. Et la police ne peut rien faire ! Le Chef l’a dit : il est « dangereux d'envoyer des gendarmes ». Etonnant quand on sait que les héroïques fonctionnaires parviennent à s’infiltrer et jettent depuis les barricades des gros cailloux sur leurs propres collègues avant de menotter quelques mauvais garçons qui passent en comparution immédiate et écopent de dix mois de prison.

Après vingt-cinq jours, les parents de Camille sont donc venus eux-mêmes chercher leur fille. La police avait raison d’avoir peur : le papa a dit que lui la maman et le taxi ont pris des coups d’opposants, qui visiblement s’opposaient à ce que Camille reparte par la force (j’épargne ici au lecteur la polémique convenue sur le bon usage de la violence dont l’Etat et les papas-mamans doivent garder l’usage exclusif ; sauf s’il s’agit d’Etats foncièrement méchants ou arriérés, comme ceux du monde arabe ou d’Afrique, à qui on vend juste des armes parce qu’on ne peut pas faire autrement : la croissance, la balance du commerce extérieur, etc.).

Camille part, Geneviève reste. Elle s’en explique le lendemain aux journalistes du Parisien qui ont bravé mille dangers pour aller à sa rencontre : « Je ne partirai pas. Je veux vivre dehors, faire des rencontres inattendues, être libre de mes mouvements. ». Ça se corse. Un gendarme « proche du dossier » formule explicitement ce qui doit être à craindre : l’exemple de Geneviève peut inciter « ados en mal-être » ou même « délinquants et fuyards » à se soustraire à la loi dans « ce qui apparaît de plus en plus comme une zone de non-droit ». Entendons-nous ; la jeunesse – haïssable non comme âge transitoire mais comme critique vivante de la société de destruction du territoire et de l’aventure –, pauvre ou riche et partout misérable, solidement éduquée à ne plus avoir d’idées, pourrait, à écouter Geneviève, recommencer à en avoir…

Le lendemain de ce joli vœu de liberté, un bref encart dans le journal du même nom avisait le lecteur attentif que Geneviève était repartie avec sa mère. Drôle comme les jeunes filles changent d’avis. Elle avait sûrement entendu Ministre Blancos qui, tout en comptant les voitures brûlées par des vrais jeunes comme il faut dans des « zones de non-droit » dûment agréées, espérait son retour volontaire à la vie normale, comme on espère, en langue de gestion des flux humains, le retour volontaire des étrangers dans leur pays d’origine.


M. N., A. G.

La fin du monde n'a pas eu lieu.




La fin du monde n'a pas eu lieu. Dommage. Soleil, tu devais ne pas te lever, disparaître pendant trois "jours"... Ce matin pourtant, j'ai entendu la rumeur de la ville qui se réveillait comme une servante, sur la pointe des pieds, j'ai regardé dehors, j'ai vu que tu t'efforçais d'éclairer  d'une lumière triste le Paris clignotant d'avant noël... 
 
Les Mayas n'avaient du reste jamais rien annoncé de tel. C'est drôle comme notre civilisation mortelle s'impatiente de mourir, d'en finir avec son monde. Elle espérait déjà en l'an 1000. Elle espérait davantage en l'an 2000, ayant tant perfectionné la science de sa destruction en dix siècles. Elle tourna alors les yeux vers les peuples arriérés, d'eux seulement pouvait venir une croyance plus forte que le nihilisme dans lequel elle s'était enroulée. Mais non, le 22 décembre 2012, elle était encore là, à se regarder agoniser péniblement, ne se supportant plus ni le monde qu'elle avait fait hideux à son image, avec encore noël à fêter, avec l'horreur des cadeaux à acheter dans les réserves commerciales; vite; s'était-elle dit en s'éveillant ce matin-là, accélérons le ravage, massacrons les innocents, vite, plus vite, plus haut dans le ciel, plus profond dans le sol, piétinons, tirons, bétonnons, trouons, arrachons, dévorons les miettes de l'enfant Jésus...
 
De l'autre côté de la Mort, un cycle s'achève et les Mayas changent d'ère. Je suis sûre qu'ils ont dormi sous le sourire de leur lune et se sont levés sous la chaleur de leur soleil (qui ce matin s'appelle pluie). Ils remettent le compteur du temps à zéro, lui offrent une nouvelle jeunesse. Pour le signifier au vieux monde, quelques milliers de petits Indiens qui vivent en toute indécence en dehors des musées, esprits échappés aux statuettes où les mauvais génies tentent de les enfermer, sont venus occuper silencieusement quelques villes du Chiapas. Ainsi fêtent-ils les dix-huit courageuses années (qui sont je ne sais combien dans leur calendrier) qui les séparent du jour où ils voulurent bien apparaître aux yeux brûlants du vieux monde. Peut-être se souvient-on de l'aube où ils prirent les villes et récupérèrent des terres trop longtemps livrées à des mains rapaces. Ils sortaient  de quatre cents ans de forêts si recouverts d'invisible que pendant un moment personne ne les vit. Puis on les vit sans les croire (possibles). Une fois vus et crus, on les tira. Mais il était trop tard. Ils étaient là. Ils se tiennent là encore. Ils se tiennent dans les villes et célèbrent silencieusement leur présence, qui traverse les calendriers du ravage. Ils sont plus vieux que le temps et ont encore la générosité d'aimer assez le monde pour ne pas vouloir sa fin. D'une voix immense, ils redonnent voix à tout ce qui est couvert par la rumeur. D'un pas immense, ils entrent dans la nouvelle ère. 
 
  M. N.


¿ESCUCHARON?

Es el sonido de su mundo derrumbándose.
Es el de nuestro resurgiendo.
El dia que fue el dia, era noche.
Y noche serà el dia que sera el dia.
 
(Vous avez entendu ? C'est le bruit de votre monde qui s'écroule. C'est celui du nôtre qui resurgit. Le jour où le jour fut, il faisait nuit. Et nuit sera le jour où sera le jour.)
 
COMMUNIQUÉ DU COMITÉ CLANDESTIN RÉVOLUTIONNAIRE INDIGÈNE
COMMANDEMENT GÉNÉRAL DE L’ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE
MEXIQUE
21 décembre 2012